Je caresse encore l'espoir de devenir l'homme de votre vie, le compagnon attentionné capable de prendre soin de votre existence comme le jardinier japonais arrosant le frêle bonzaï. Mais hélas, votre comportement, samedi dernier, m'a semblé étrange. Il n'était pas dans mon intention d'épier vos gestes – et soyez certaine de ma parfaite correction -, mais la femme si chaste et si honnête, rencontrée il y a de cela cinq ans, me paraissait transformée. Ma Violette d'ordinaire si réservée, si rétive à devenir la proie des mâles, s'est métamorphosée, le temps de cette soirée ordinaire, en animal frivole.
Comment ne pas voir cet abandon dans les bras de ce fat d'Edmond - entre parenthèses il est piètre cavalier - , comment réprimer ma colère devant ce décolleté pigeonnant offert à des regards avides. Violette, ma chère et tendre Violette, votre manège ne m'est pas indifférent. Je perçois maintenant vos gestes banals comme de petites trahisons, vos absences prolongées comme des infidélités, vos éclats de rire comme des provocations.
Ma chère Violette, je m'étais donné vingt ans avant de devenir votre amant. Les circonstances récentes et votre acharnement féroce à me faire mal ont radicalement changé ma vision de notre avenir. Violette, je pars, laissant en jachère notre infertile chimère. Demain, je prendrai le premier transat à Marseille à destination de Montevideo et m'installerai à Rosario comme vigneron. Dans dix ans, je serai riche et célèbre et reviendrai moissonner ce dont votre inconstance m'a privé.